Me pardonneras-tu, cher Maître, cet exhibitionnisme télévisuel que tu aurais certainement jugé trivial ? Las, je ne suis pas seul dans cette aventure, et contrairement à toi, je finis toujours par céder à des arguments qu'au fond de moi je ne peux m'empêcher de trouver spécieux...
Qu'importe après tout, puisqu'en vérité, il s'agit de te célébrer toi, Michel-Ange, Michelangelo Buonarroti devrais-je dire respectueusement, te célébrer donc, au travers de cet hommage que je veux rendre à ton génie et à ton talent dont je discerne à peine les contours.
D'aucuns y verront le secret espoir qu'un reflet de ta splendeur vienne nimber mon front d'une gloire imméritée, ou qu'en m'approchant du soleil son éclat finira bien par me faire émerger de l'obscurité où je ferais peut-être mieux de me tenir...
Pauvres et petits esprits qui jugent d'après le leur !
Songent-ils que pendant deux années, voire davantage, je te fais le don total de mon éventuelle "créativité" ou tout au moins des quelques idées qui me trottent par la tête, que j'abdique toute indépendance jusqu'à disparaître entièrement dans ton ombre ?
Devineront-ils jamais les trésors que me vaut cet abandon, trésors qui n'ont rien à voir avec ceux qu'ils me soupçonnent d'escompter !
Je me suis souvent demandé si tu m'aurais accepté, Michelangelo, comme apprenti dans ton atelier...
Sans attendre cette réponse que tu ne peux plus me donner - quelle chance ! - en ai-je forcé la porte !
Et depuis des mois, sans faiblir, sous ton impitoyable regard, je m'efforce de donner corps à ces Ignudi que tu aurais tant aimé sculpter... Pour récompense de mes peines, je cultive l'illusion (?) de ta bienveillante présence à mes côtés. Il me semble recevoir directement tes conseils, sentir sur mes doigts les coups de baguette que tu m'infliges lorsque je m'égare... Ne m'as-tu pas jeté violemment par terre le deuxième Ignudo, accablé que tu étais par mon impéritie ? Un mois et demi de travail réduit à néant. Sous les traits du prophète Jérémie (un auto-portrait, sans doute), je t'ai imaginé planant au-dessus de moi et de mon avorton, consterné, serrant ta barbe et ton menton à défaut de mon cou...
Puis, de ton auguste main, décochant rageusement le majeur, tu m'ouvris la voie vers une deuxième version autrement supérieure à celle dont j'avais contemplé, trois semaines plus tôt, les débris jonchant le sol... Grâces te soient rendues pour tes arrêts souverains, ô divin Michel-Ange...
Autodidacte en tout, (dessin, sculpture, écriture, piano, etc...) et n'ayant pas eu comme toi, à quatorze ans, la possibilité d'entrer dans l'atelier d'un aîné, quel autre et meilleur Maître que toi aurais-je pu élire ?...
N'as-tu pas commencé par copier Masaccio et quelques autres ? Ce qui me fait répéter aux infatigables chercheurs de ces conseils qu'ils ne suivront jamais : "Si tu veux en devenir un, copie les Maîtres..."
Cependant, jamais, je n'aurais osé copier une de tes sculptures, mais transposer en volume 5 (?) de tes Ignudi m'a paru indemne de toute offense à ton égard. J'irais même jusqu'à dire que tu l'as bien cherché : car, enfin, est-ce humainement concevable pour le commun des mortels de devoir supporter la vue de ces merveilleux jeunes gens dont la chair pulpeuse palpite à l'envi, sans pouvoir...
Je m'égare ? Oh que non...
D'aucun(e)s m'ont remercié, quelque rougeur aux joues, d'en avoir déjà décroché deux de ta voûte céleste, et d'avoir pu en caresser les rondeurs d'une main fébrile !
Ah ! Cher Maître...
Il serait temps que je retourne à mon pot de cire et à mes outils... Nous continuerons notre entretien en tête-à-tête... Du reste, s'il m'en souvient, tu voulais me raconter comment t'est venue l'idée de faire porter à certains de tes 20 garçons nus des brassées de branches de chênes ornées de milliers de glands... Jules II ne s'appelait-il pas "della Rovere", autrement dit "rouvre" comme le chêne du même nom ?... Je crois que nous allons rire aujourd'hui comme tu le fis à gorge déployée, sur ton échafaudage, il y a 499 ans... Raphaêl te qualifiait de "bourreau" ! Je te vois aussi en "vieux farceur"... Oups ! Excuse-moi, mais je le crois sincèrement. Tu me feras payer cette insolence ? Si tu y tiens...
Ainsi donc, allons-y !... On pourra désormais parler de ce pieux "Hommage à Michel-Ange"en disant, avec un sourire entendu : "Vu à la télé"...
Les hasards de l'humour ou l'humour du hasard :
les deux charmantes jeunes femmes (plume et camera) qui ont réalisé ce reportage pour FR3 Bourgogne-Franche-Comté, portaient le même prénom : Florence !
Un charmant clin d’œil, n'est-ce pas ?...
Dois-je comprendre que mon Maître veille sur ses "petits-enfants" bientôt en bronze ? Allez savoir !
Que le ciel vous tienne en joie.
Cordialement,
Jean